Serpoga ou les aventures d'un Quatuor Urbain (3)


3. Hallu à Lamia

L’auberge de jeunesse de Lamia ne se situait même pas à Lamia mais en lisière de la petite ville au pied des montagnes grecques du Pinde. De l’autre côté du mont Parnasse se trouvait le golfe de Corinthe, mais le club des cinq avait d’autres préoccupations que le tourisme. Ils foncèrent au supermarché le plus proche faire des provisions et regagnèrent l’auberge de jeunesse pour se reposer. Dans leur chambre, ils évoquèrent le lendemain : Serpoga ne savait pas combien de temps durerait l’expédition, ils laisseraient la camionnette sur le parking du départ de randonnée, tous les campeurs faisaient ça, et ils rempliraient judicieusement leurs sacs. Mirea était séduite par le camping et la randonnée, mais Oneill tenait à préserver un certain confort et assumait de porter un matelas pneumatique. Nany essayait d’alléger son sac par tous les moyens, et Renault comme Serpoga se torturait l’esprit pour décider quoi prendre. La traduction du grimoire n’étant pas terminée, il fallait emporter le livre.

- A la limite tu prends deux jours tranquille pour finir la traduction. On partira sans ce gros bouquin et tu pourras emporter des choses plus utiles, suggéra Oneill.
- Oui, comme ça on se détend deux jours, on se repose, ajouta Mirea, toujours prête pour se la couler douce.
- Deux jours c’est largement suffisant, il me reste une dizaine de pages, on peut faire ça comme ça si vous voulez, déclara Serpoga.
- C’est écrit gros ? s’inquiéta Nany en fronçant les sourcils.
- Oui, et c’est illustré.

C’est ainsi que fut décidée une pause de deux jours avant d’entreprendre l’expédition. Le soir ils mangèrent à l’auberge où pour quelques euros ils avaient droit à un repas conséquent avec les autres occupants de l’auberge. L’ambiance rappelait aux jeunes nantais les colonies de vacances avec les verres et les assiettes industriels produits en grande série pour les collectivités. Qui n’avait jamais regardé sous son verre le numéro inscrit pour savoir qui irait remplir la carafe d’eau ? A leur table se trouvait un couple d’anglais avec qui ils nouèrent rapidement le contact. Mirea entama la discussion avec le jeune homme, un grand bonhomme aux cheveux ras qui parlait le français avec un fort accent. Lui et son amie venaient du Pays de Galles, d’une petite ville côtière nommée Swansea que les nantais ne connaissaient pas. Lussey, qui était journaliste, avait passé plusieurs années en France pour son métier, et connaissait un peu Nantes. Il leur présenta sa compagne, Janen, et ils ne se firent pas prier pour prononcer son prénom « Janine ».

Renault fut ravi de s’exercer à parler anglais avec la jeune femme, et de pouvoir se donner une contenance et un exutoire pour cacher son éternelle jalousie. Les deux gallois étaient arrivés deux jours plus tôt pour un reportage très particulier et Lussey leur expliqua en quoi cela consistait. Sur un forum Internet courait depuis quelques mois une rumeur surprenante, et régulièrement de nouvelles sources la confirmaient. Cependant la chose était tellement singulière et isolée qu’aucune preuve irréfutable n’avait pour l’instant été fournie. Au prix d’une petite mascarade, on pouvait passer du sommet du mont Parnasse au sommet de la tour Montparnasse à Paris, à condition de faire le tour du mont à pied avant d’atteindre le sommet. Une fois là-haut, il fallait mâcher des pétales de fleurs qui plongeaient dans un profond sommeil et l’on se réveillait au sommet de la tour Montparnasse. Il s’agissait bien de cette montagne en face de Lamia, contournée par un chemin vieux comme le monde passant par la fameuse ville de Delphes qui abritait la Pythie dans la mythologie et de la tour parisienne.

Depuis qu’un premier intervenant avait lâché cette information sur le forum, en expliquant tous les détails, deux hollandais habitués du forum avaient décidé d’inclure un détour dans leur voyage en Grèce, à tout hasard. A cette époque sur le forum tout le monde prenait l’initiateur pour un dingue, ou un mauvais plaisantin. Les internautes s’étaient fendu la poire en imaginant les hollandais mâcher des fleurs au sommet du mont Parnasse. C’était en août, et à cette époque, avant que les hollandais ne donnent des nouvelles, l’internaute avait déposé des photos sur le forum. Elles représentaient deux grecs d’un vingtaine d’années dans les diverses étapes du voyage. Ces photos étaient troublantes : les grecs étaient habillés exactement de la même manière sur les prises de vue, ils avaient pris en photo ce mur en face de la tour Montparnasse où une horloge indiquait la date et l’heure, mais il n’y avait pas l’équivalent à Lamia alors tous les doutes restaient possibles.

- Quelques jours plus tard le couple de hollandais laisse un message sur notre forum. Ils l’avaient fait ! Eux aussi ont mis des photos en ligne, toujours les mêmes, un sommet entouré par une mer de nuages… continua Lussey.
- Le mont Parnasse culmine à 2457 mètres, et il est le troisième sommet de Grèce après le mont Olympe bien sûr, ajouta Janen. L’été il fait très chaud généralement, mais il faut se renseigner sur la météo pour les orages, surtout en août et septembre. La semaine à venir est calme.

Nos amis le savaient bien, ils avaient justement choisi cette semaine pour les conditions climatiques particulièrement favorables. Lussey fit passer une feuille de papier, c’était le message du couple de hollandais.

Bonjour à tous,

Nous vous écrivons depuis un cybercafé près de la gare Montparnasse à Paris, nous sommes arrivés sur le toit de la tour Montparnasse il y a environ deux heures. C’était incroyable ! Nous avons appliqué à la lettre les consignes de Peter34, avec le tour du mont qui nous a pris deux journées entières au départ de Lamia, puis nous avons immédiatement entrepris l’ascension par le chemin de grande randonnée, et arrivés au sommet, eh bien nous n’avions pas fait tout cela pour rien : les fleurs de Sogé abondaient, même à cette altitude. Les pétales avaient effectivement une couleur plus vive qu’en plaine. Bref nous en avons mâché trois chacun comme Peter34 l’indiquait et nous nous sommes endormis dans nos sacs de couchage. Nos montrent indiquaient 15h35, nous l’avions noté sur un papier..

Puis le réveil à Paris, de la pluie, nos sacs de couchage trempés, nous dormions sur le toit de la tour Montparnasse, impossible de dire depuis combien de temps. Il était 17h15 et nous avions été réveillés par l’humidité. Nous étions tous les deux très fatigués, et nous étions comme démotivés au début. Après, lorsque nous eûmes réalisé ce qui s’était effectivement passé, quel vertige ! Nous sommes descendus sous quelques regards médusés, d’autres imperturbables… Et nous retournons en Hollande en Thalys dès ce soir. Dans quelques jours les photos !

Ann & Frank