Serpoga Z (5)


5. Face à Grichka

Adrien Serpoga et Grichka Smiakov bavardaient maintenant dans l’appartement parisien. La tournure était plus amicale, mais Serpoga continuait à braquer son arme vers Grichka, qui arpentait le salon et la cuisine et tentant d’expliquer le phénomène à son agresseur.

- En gros, notre corps est constitué de cellules qui contiennent l’information temporelle. Il faut que tu saches que toutes les époques coexistent si l’on prend un autre référentiel de temps. Ce référentiel est tout simplement le temps qui passe pendant lequel toutes époques sont modifiées en fonction des nouveautés introduites par ceux qui sont capables, eh bien, de voyager dans le temps. Quand quelque chose est modifié en 1935, toutes les époques suivantes sont modifiées en conséquence. En fait cette cinquième dimension n’est perceptible et utilisée que par Igor et moi. Igor c’est mon frère.
- Et concrètement, comment faites-vous ?
- Attends, c’est compliqué. Il faut d’abord que tu saches que nous faisons tout pour que notre technique ne soit pas découverte. Tu imagines si tout le monde pouvait voyager dans le temps ?
- Eh bien quoi, qui s’en rendrait compte ?
- Personne, effectivement puisque les différentes existences de chacun ne sont que des états dans cette référence de temps, mais nous faisons en sorte que tout se passe pour le mieux. Nous sommes nés dans une époque terrible, en 3016, alors que c’était le chaos sur Terre et dans l’Univers. Le voyage dans le temps n’existait pas, et nous l’avons mis au point car nous avions la chance de faire partie des derniers privilégiés qui avaient accès à la science, aux livres, à l’information. Nous avions les moyens d’étudier, nos parents étaient riches, mais ce n’était pas le cas de 99% des Hommes qui vivaient dans la misère. Dès que nous avons mis cette technique au point, nous avons peu à peu "amélioré" la société.
- Ca n’est pas encore optimal.
- Détrompe-toi. Il n’existe pas des milliers de façons de faire coexister des milliard d’individus, sans compter les guerres. Actuellement, enfin, au sens de cette nouvelle dimension temporelle que je te décris, au XXXIème siècle il n’y a que 20% de personnes en dessous du seuil de pauvreté. C’est mieux qu’au XXème siècle !
- Et la technique ?
- Donc, tes cellules contiennent cette information temporelle, comme un curseur dans l’échelle de l’espace-temps traditionnelle. C’est une information quantique que l’on peut modifier tout simplement avec la digestion. L’information quantique à tendance à se répandre de cellule en cellule par proximité, donc en avalant de la nourriture fortement influençante – ou une boisson que tu pourras appeler "potion magique" –en quelques heures tu peux modifier ta position dans l’Espace-Temps. Mais pas dans cette cinquième dimension, que seuls Igor et moi connaissons.

Grichka avait senti l’intérêt de son agresseur, il était maintenant persuadé qu’il n’était pas dangereux. Serpoga était fasciné, en effet. Son rêve était donc possible. Il menaça son interlocuteur pour lui rappeler que dans la vie il y a ceux qui gèrent le destin de l’Humanité, et ceux qui tiennent l’arme.

- Tu vas m’envoyer en 1960.
- Ecoute, d’accord. Tu dois simplement me promettre de te taire, c’est le seul risque que je prends. Car si tu ébruites cette information, on te croira fou, suffisamment longtemps pour que moi ou Igor venions te tuer. Tu peux faire des ravages. Si tu te tiens tranquille tu auras gagné. Et nous prendrons plus de précautions à l’avenir.
- A l’avenir de la cinquième dimension, hein ? On est trois alors dans cette nouvelle dimension. Je te crois, et sache que ce n’est pas mon intention.
- Non, nous ne sommes pas trois. Tu ne pourras pas revenir, nous te surveillerons et si tu tentes de revenir nous agresser pour voyager à nouveau, nous te tuerons avant.
- Tu peux être tranquille. Mais tu pars avec moi, je ne veux pas que tu me prépares un laxatif. Tu bois la même chose que moi.
- Si tu y tiens, mais j’ai d’abord une affaire à gérer avec Igor. Actuellement il est en 1911. En Ukraine, Vlad Cheren est un chercheur qui a toutes les clés en main pour mettre au point un vaccin contre une maladie vénérienne tellement rare qu’il ne la connaît pas. Il va doucement le mettre sur la voie, c’est une mission de plusieurs mois, dont je dois vérifier les conséquences avant de donner le feu vert à Igor pour rentrer. On ne peut agir que par petites touches pour ne pas tout remettre en cause. En cas d’erreurs, nous avons des sauvegardes, des identités dans lesquelles nous pouvons nous retrouver à différentes époques en cas de problème. On a toujours sur nous la "pilule" de secours.

Dès lors, Grichka s’affaira aux fourneaux, pelant quelques légumes que Serpoga connaissait de vue, d’autres complètement inconnus. Il s’agissait apparemment de mélanger tous ces ingrédients et de les faire cuire comme une soupe. Il ajouta des épices, mais pas de formule magique ni d’incantations. Un bon potage, qu’il laissa sur le feu.

Puis vint l’heure du rendez-vous avec Igor. Grichka resta planté devant son ordinateur à observer des sortes de pages d’informations du réseau, notamment des canaux nationaux, sur lesquelles il lançait de frénétiques "actualisations". Tout avait l’air de bien se passer, Serpoga essayait de contrôler les faits et gestes de Grichka, mais ne voyait rien de dangereux dans ses manipulations réseaux. Enfin, lorsque la cuisson fut terminée, il fit face à deux bols de soupe.
- Bois d’abord.
- Si tu veux. Sache que nous allons tout simplement dormir quelques heures et nous réveiller le même jour et au même lieu, en 1960. A tout à l’heure. Au fait, quel est ton nom ?

Serpoga but à lentes gorgées et d’une traite le bol de mixture verdâtre. Puis il dit :

- Mon nom est Serpoga.