Serpoga ou les aventures d'un Quatuor Urbain (6)


6. Adieu Serpoga


Quand le soleil finit par illuminer leur petite clairière, Serpoga et les tourtereaux ne purent que constater l’absence de Nany. Ils se rappelaient bien la veillée autour du feu mais devaient admettre s’être endormis comme des masses et n’avaient tout simplement rien compris de ce qu’il était advenu de leur ami. S’il n’était pas là, et que ses affaires manquaient, c’était que ce dernier était sur la piste d’Oneill. Il leur faudrait encore attendre, et Serpoga commençait à s’impatienter. En rangeant leurs affaires, au beau milieu d’un tas d’immondices – l’ami avait fait un festin avant de partir – ils dénichèrent un petit mot griffonné sur un emballage de gâteaux. C’était un message de Nany.

C‘est bon je vais le chercher, pas de problème. Pas la peine de faire le tour par contre je ne sais pas comment faire le chemin inverse, à bientôt, Nnnany.

Malgré le côté surnaturel de la chose, Mirea et Renault furent rassurés. Les champignons avaient fonctionné et Nany était sur les traces d’Oneill. Il faisait sûrement référence au mont Parnasse, et ils ne purent que se rendre à l’évidence, Nany était parti au sommet avec l’intention de tenter l’expérience. Etait-ce vraiment la piste d’Oneill ?

- Mais il trippe complètement, il est parti à Paris – à supposer que ça fonctionne – au lieu de chercher Oneill. Je ne suis pas sûr que ces champignons soient autre chose que de forts hallucinogènes et Nany est en train de bouffer des fleurs au sommet du mont, c’est pas croyable !
- Tu penses que Nicleu était un mauvais plaisantin ? demanda Renault, qui devait admettre que tout ceci pouvait fort ressembler à une vaste plaisanterie.
- Mais bien entendu, et qu’est-ce qu’on fait, nous ? On ne va pas attendre qu’il revienne ici.

Mirea ne disait rien. Parfois elle avait un côté très pragmatique qui lui faisait constater que l’expédition du mont Parnasse avait pour l’instant fait disparaître deux de ses meilleurs amis, peu importe de quelle manière. Elle était heureuse d’être encore avec son homme et se jura de ne se séparer de lui sous aucun prétexte. Mais Serpoga voulait continuer. Arguant qu’Oneill était perdu et que Nany dormait au sommet du mont, il leur fallait continuer, quitte à laisser un mot et revenir dans quelques jours. Renault n’était pas de cet avis, il ne voulait pas abandonner ses amis qui pourraient revenir d’un instant à l’autre. Serpoga s’énerva, et voulut partir seul en exigeant de ses deux compagnons restants leur exemplaire de la traduction du grimoire. Ils ne se firent pas prier pour le lui remettre car ce dernier commençait à leur taper sur le système. Quel individualiste ! Finalement Serpoga prit ses cliques et ses claques et tourna les talons en maudissant le quatuor urbain. Cela faisait à peine une heure qu’ils s’étaient réveillés, quelle humeur de bon matin…

Renault avoua le fond de sa pensée à sa belle, il voulait grimper au sommet du mont pour voir ce qu’il en était, sans faire le tour au préalable, comme l’indiquait Nany dans son message. Si Nany était allé là-bas, ils le retrouveraient soient en le croisant s’il redescendait vers la clairière, soit endormi là-haut épuisé par la nuit de folie qu’il avait du avoir, soit à Paris. Mirea était ravie. Elle pensait exactement la même chose, et avait les mêmes envies que Renault. Etait-ce pour cela que l’on parlait d’âmes sœurs ? Les deux amoureux étaient assez rassurés quand au sort de leurs amis, il n’y avait dans toute cette histoire qu’un type paumé dans la cambrousse et autre crevé au sommet d’une montagne, ou alors, et Renault marqua une pause en regardant sa meuf dans le fond des yeux, ou alors ils se retrouveraient tous à Paris.

Les deux nantais restants n’étaient pas pressés, avant de plier bagage ils s’accordèrent tout ce dont ils avaient besoin dans ce petit coin de paradis, seuls au milieu des montagnes du Pinde. Pour eux aussi le ciel était parfaitement bleu en cette matinée grecque, incroyablement bleu, et les flancs du mont Parnasse respiraient la tranquillité. Mirea s’accrochait à son mec comme pour l’empêcher de disparaître emporté par des muses, mais à cet instant les muses malfaisantes prenaient des notes pour parfaire leurs charmes. Cette grasse matinée en montagne avait des airs de perfection romantique qui leur interdisait toute interruption. Renault proposa à sa Mirea un joint au grand air, et raviva le feu. Elle prépara du thé et remplit son thermos, comme elle avait fait le plein d’intimité avec Renault, prête pour repartir et retrouver leur amis.

***

Nany aurait encore dormi plusieurs heures sous le ciel de Paris au somment de la tour Montparnasse si Lussey ne l’avait pas secoué pour le réveiller. Il grogna encore un peu en suppliant son bourreau d’arrêter la torture mais abdiqua finalement et consentit à se lever. Il mit du temps à remettre ses idées en place, croyant d’abord que c’était cet emmerdeur de Serpoga qui voulait partir à la chasse au trésor. Puis tout lui revint, il cherchait Oneill, et les champignons qu’il avait absorbés la veille l’avaient conduit ici. Ecrasé de démotivation, le jeune juriste frais émoulu de l’université de Nantes n’avait qu’un vague souvenir de son ascension de la nuit passée. En réalité tout ceci lui semblait absurde car les champignons ne faisaient plus effet, mais il restait sidéré d’avoir réalisé de nuit une telle randonnée. Et cet endroit, était-ce vraiment le toit de la tour Montparnasse ? Il se remémorait les évènements de la nuit. Oneill était captif des muses, et s’il était parvenu jusqu’à Paris, c’était parce qu’il allait le chercher au Lido, la boîte de nuit. Ah, elle était loin la mythologie grecque, les muses malfaisantes d’aujourd’hui préféraient le strass et les paillettes, et elles créchaient maintenant avenue des Champs Elysées. Quels ravages elles devaient faire dans la jet-set !

- Mais qu’est-ce que vous faites-là demanda Nany à Lussey et Janen qui le regardaient en souriant.
- Nous venons de nous réveiller nous aussi, en réalité nous sommes arrivés il y a deux jours, tu te rappelles que nous voulions tenter l’expérience ? lui expliqua Lussey, pédagogue.
- Bien sûr, dit Nany, sans trop de conviction car qui devait en même temps intégrer le fait qu’il était à Paris alors que quelques heures auparavant il était au sommet d’une montagne.
- Eh bien nous avons tenté de faire le chemin inverse ce matin même. Nous avions emporté des feuilles de Sogé et nous avons… Lussey hésita.
- Nous avons fait le tour de la tour Montparnasse, tu vois, pour transposer la situation, finit par ajouter Janen.
- Donc ça ne marche pas, conclut Nany, vous raconterez ça dans votre forum.

Effectivement faire le tour du pâté de maison et manger les pétales de Sogé ne permettait pas de se retrouver à nouveau au sommet de la montagne grecque, mais l’effet somnifère avait bien été au rendez-vous, alors tous les trois baillèrent de concert. Nany leur expliqua toute son histoire, d’Oneill disparu en pleine montagne, à son objectif, la boîte de nuit des Champs Elysées, sans omettre le demi-dieu à lunettes. Cette fois-ci ce fut au tour des deux journalistes gallois d’écouter une histoire abracadabrante et de faire les yeux ronds.

- Tu veux dire qu’Oneill a été kidnappé par des muses malfaisantes, et qu’elles l’ont emmené ici à Paris, résuma Lussey, synthétique.
- Oui, au Lido, ça m’est plus ou moins apparu.
- Ecoute, est-ce qu’on peut venir avec toi ? demanda Lussey.
- C’est vrai ajouta Janen, on voulait du sensationnel, nous voilà servis, ajouta Janen.
- OK, mais allons-y alors, dit Nany qui ouvrait déjà la porte se secours.

Ils prirent le métro pour se rendre à Charles de Gaulle – Etoile, et les deux gallois commençaient à aimer Paris et la ballade dans le fameux métropolitain, vieux de plus d’un siècle. Lorsqu’ils débouchèrent sur l’avenue des Champs – Elysées, Janen et Lussey contemplèrent la place de l’Etoile où les voitures circulaient dans tous les sens et l’avenue mythique qui remontait jusqu’à la place de la Concorde. Les voitures circulaient dans un désordre artistique, et le système de priorités était particulier, leur expliqua Nany, heureux de retrouver la France et les français. Mais lui ne voulait pas s’attarder ici, entre les japonais tous équipés en numérique, et les américains, décidément toujours aussi bruyants. Il avait visité Rome par le passé et avait été impressionné comme dégoûté par le nombre de touristes. Cette fois c’était dans son propre pays qu’il se rendait compte que le monde était éclaboussé de quelques tâches de confiture dévorées par des hordes de fourmis.

Ils descendirent les Champs quelques minutes sur les larges trottoirs encombrés de touristes allant tous dans le même sens et arrivèrent devant le Lido. Entrer ne serait pas une mince affaire, avec leur look de baroudeurs. Lussey et Janen avaient pu dormir dans une auberge de jeunesse, et s’étaient plus reposés qu’autre chose depuis deux jours, mais leurs habits et leurs sacs à dos trahissaient un mode de vie peu compatible avec celui de l’établissement. Nany, lui, revenait d’un trip aux champignons particulier puisqu’il s’était au passage offert l’ascension du mont Parnasse et de deux jours sportifs dans les mêmes habits, sa barbe aussi témoignait. Ils pouvaient penser à certains milliardaires vêtus comme des clochards, mais de ceux-là ils n’avaient que les habits. A l’entrée on leur rétorqua tout simplement que c’était fermé. L’antre des muses était bien gardée.

Ne sachant quoi faire d’autre, Nany siffla, longuement et puissamment dans son sifflet anti-muses, si bien qu’au bout de plusieurs minutes finit par apparaître un Nicleu ébouriffé et grognon.

- Dis donc, dévergondé, c’est pas indiqué en didascalie disponible pour tes divers desideratas !
- Je sais Nicleu, désolé, mais là il faut vraiment que tu nous aides, Oneill est retenu là-dedans par les muses malfaisantes. Je te présente Lussey et Janen, ils viennent du Pays de Galles.

Nicleu, qui sortait du lit, avait mis ses habits de lutin à la hâte et cela se voyait. Son collant tire-bouchonnait au niveau des chevilles et la couture qui était censée épouser la raie des fesses était de travers. En guise d’anecdote aux journalistes, il expliqua que le demi-dieu gallois était un fainéant et que même s’ils arrivaient à trouver le sifflet adéquat, ils pourraient s’époumoner que ce dernier ne quitterait pas sa télé. Un grand fan de rugby, qui n’avait dépanné personne depuis des siècles. Lussey et Janen arrivèrent à ne pas conserver trop longtemps leur bouche bée. Concernant leur problème, il leur proposa la solution suivante. Il avait des champignons magiques qui les transformaient en milliardaires, du moins en apparence. Le seul problème était que les champignons étaient aussi hallucinogènes et vraiment puissants. Nicleu prévoyait qu’ils auraient du mal à se tenir correctement. C’est pourquoi il lui restait beaucoup de ces champignons, ils ne servaient pour ainsi dire jamais. Les gallois ne voulurent pas en entendre parler, et Nany empocha les psychotropes « au cas où ». Nany posa une question pertinente à Nicleu.

- Mais qu’est-ce qui se passe pendant ce temps pour Oneill ?
- Désinhibé, le dégourdi divague dans la débauche et les délices, ah, l’idiot doit être séduit et n’abandonnera pas. Il se donne.
- Mais il n’est pas urgent de le récupérer alors ?
- Seul dommage, il devrait en redescendre dégoûté d’être redevenu l’idiot d’avant.
- Oui mais il s’agit de sa vie, il faut qu’il puisse en faire quelque chose, il n’y pas que ces songes.
- Son destin. Débrouille-toi pour le délivrer, mais pas de danger ni d’urgence.

Nicleu en bonus leur expliqua que Renault et Mirea étaient en chemin et débarqueraient à Montparnasse en fin d’après-midi, puis leur souhaita bonne chance. Il allait se recoucher alors ils seraient gentils de ne pas siffler pendant quelques heures, il avait eu une longue nuit avec le demi-dieu hollandais avec lequel il avait rencontré des demi-déesses près de Delphes, la nuit avait été courte.