Serpoga ou les aventures d'un Quatuor Urbain (7)


7. Sus au Lido


De la même manière que Nany le même matin, Renault et Mirea arrivèrent au sommet de la tour en fin d’après-midi. Comme comité d’accueil ils avaient les deux journalistes gallois et leur ami Nany, qu’ils furent soulagés de retrouver en un seul morceau. Pour l’occasion Renault roula un joint sous le ciel français, car le sommet de la tour parisienne était un endroit particulièrement agréable. On apercevait le Centre Georges Pompidou, ils désignèrent Montmartre, les buttes Chaumont, et passèrent la tour Eiffel de commentaires. Une fois la situation expliquée en long, en large et en travers aux nouveaux arrivants, il firent un bilan. Nany, Lussey et Janen s’étaient déjà heurtés au refus des vigiles du Lido une deuxième fois quelques heures plus tôt. Oneill était toujours prisonnier de l’antre actuelle des muses telle qu’elle était apparue à Nany grâce aux champignons de Nicleu. Prétexte évoqué par les cerbères : c’était une soirée spéciale et ne pouvaient entrer que les invités. Mirea voyait clair dans le jeu de la boîte sélect : jamais la bande ne pourrait s’y pointer dans ces tenues. Ensuite si ce problème venait à être résolu, il faudrait consommer et ils n’avaient pas besoin de consulter la carte pour se rendre compte que leur porte-monnaie n’y survivrait pas. A supposer que l’un d’eux parvienne cependant à rester un peu dans la place pour boire un café, siffler à tue tête dans le Lido le mènerait vers la sortie plus vite qu’il ne serait entré. Ils ne savaient même pas où exactement donner du sifflet, ni dans quel état apparaîtrait Oneill si cela fonctionnait. Décidément ils avaient affaire à une forteresse imprenable.

Lussey proposa de s’y prendre autrement. Il leur faudrait attendre que la boite ferme et s’y introduire par effraction. Les autres le laissèrent parler, car même si cette idée leur semblait inconcevable, elle était pour l’instant la seule envisageable.

- Bien entendu il n’est pas question de forcer la porte d’entrée, expliqua-t-il. Il faut simplement trouver un autre moyen, ce n’est pas une banque et à mon avis nous devrions trouver quelque chose.
- Le tout est de ne pas attirer l’attention, peut-être par les toits, avança Renault.
- Oui, continua Nany, imaginez une fenêtre, ou une porte dérobée dans une petite cour, il faut au moins aller voir.
- Vous allez un peu vite, là, objecta Mirea. Et l’alarme ? Et s’il y a un vigile ? Ce n’est pas une banque, mais ce n’est pas un moulin non plus.
- Quoi, un moulin ? demanda Janen. Bon, mais moi j’ai une bombe lacrymogène.
- Excuse-moi mais c’est un peu léger. Non, ce que je propose c’est de la jouer finement. Si on tombe sur un vigile, nous on ne dit rien, et Lussey et Janen, vous parlez, en anglais…
- Diantre, diantre ! Dites, vous ne doutez décidément de rien, dit Nicleu en apparaissant subitement au milieu du groupe d’amis.
- Nicleu !
- Comme d’hab, darling. Sans déconner, vous devriez vous débrouiller pour me donner le code car je prédis débandade, déroute et déconfiture !

Mirea était drôlement contente de voir apparaître leur demi-compagnon ça sentait la rescousse. Visiblement les demi-déesses n’étaient pas au rendez-vous cette nuit-là en Grèce, alors Nicleu, qui suivait les aventures des nantais comme un ange protecteur, avait décidé d’intervenir, même si la fameuse formule n’avait pas encore été prononcée. Renault eu la bonne idée de lui proposer quelques bouffées du joint qu’il venait d’achever et même si cela ne constituait pas le code adéquat administrativement parlant, cela eut le mérite de leur valoir les faveurs de ce petit bonhomme, toujours habillé en lutin. Etait-ce le charme de cette vue dominante de Paris qui émouvait Nicleu, ou bien l’acharnement dont ils faisaient preuve pour retrouver Oneill qui leur conférait un statut de quart de héros et les dispensait peut-être de formule ? Nicleu leur proposa un autre de ses gadgets divins, qui ressemblait fort au sifflet de Nany. Celui-ci plongeait dans un profond sommeil tout être humain dix mètres à la ronde, excepté l’utilisateur, c’était quand même bien conçu, mais les autres devraient se boucher fortement les oreilles.

- Modération, donc, dit-il en passant le sifflet à Renault.
- Modération, répondit Renault en désignant le bédo.

Ils décidèrent de se poster ensuite à l’intérieur de la tour, dans les locaux de la banque qui disposait de bureaux au sommet de la tour. La salle de réunion était incroyablement luxueuse, et ils disputèrent – enfin réunis – de nombreuses parties endiablées du jeu du morceau de bois et du caillou, mais simplifièrent les règles. Ainsi il n’y avait plus au centre du cercle que le seul morceau de bois, vertical, remplacé alors par un gros tube de colle. Les prises étaient moins fréquentes mais le jeu était ainsi plus fluide, et ils y passèrent la nuit en se servant de la machine à café affrétée pour les dirigeants de la banque. Seul un garde les dérangeait de temps en temps mais grâce au sifflet, ces derniers passèrent tous une nuit paisible dans les nombreux fauteuils en cuir disponibles. Nicleu parlait de se convertir en directeur de banque, et Renault répétait qu’il comprenait où partaient ses cotisations à l’établissement. Ce fut une bonne soirée, et ils purent même se connecter à Internet pour connaître l’heure de fermeture de leur Bastille.

A quatre heures du matin, sur les Champs Elysées ils avaient fait très simple. Le Lido disposait d’une sonnette comme n’importe quel immeuble et à force de sonner un vigile était apparu, pas le moins du monde inquiété par le groupe de jeunes. Un coup de sifflet plus tard, ils purent investir la salle principale comme si les lieux avaient été réservés pour eux, invités de marque. L’ensemble n’était éclairé que par quelques veilleuses de sécurité et ils ne distinguaient pas grand-chose. Quelques coups de sifflet pour s’assurer de n’être pas dérangés et ils purent explorer les lieux, puis la lumière fut. Renault avait trouvé la salle de contrôle des effets sonores et lumineux et il choisit une ambiance automnale dans les orange et jaune. La grande salle leur apparut en entier, et ils restèrent stupéfaits devant le luxe de la prestigieuse boîte de nuit. Pendant ce temps Nany sifflait dans la salle, puis sur la scène, et se promena dans les couloirs en cassant les oreilles des muses. Il ne se doutait pas de la tempête divine qu’il provoquait dans le Lido, et continuait à s’époumoner dans son sifflet anti-muses. Enfin, dans un grincement supplicier mais inaudible, les fameuses muses malfaisantes relâchèrent Oneill qui apparut en silence vautré dans un fauteuil au fond de la salle. Personne ne l’ayant remarqué, ce fut lui-même qui dit à Nany d’arrêter ses simagrées, et tous laissèrent exploser leur joie. Janen prenait des photos d’un Oneill qui apparaissait désespéré comme l’avait prévu Nicleu, mais ses souvenirs disparaissaient très vite, il semblait se réveiller d’un rêve particulièrement réaliste et agréable dont les détails s’enfuyaient de sa mémoire. Pour le convaincre que sa place était ici, il fallut lui faire humer le morceau de haschich grec qu’il avait dans la poche et auquel il n’avait pas touché depuis plusieurs jours. Il se rappela ainsi la Grèce, Serpoga, peut-être davantage mais l’heure était aux vacances et il partirent loin du Lido, de leurs hôtes trop adorables et trop dangereuses pour la gent masculine, pour préférer quelque banc d’un square parisien pour voir le soleil se lever.